PRESERVING-BREEDING-GENETICS-HISTORY-STANDARD/MORPHOLOGY-NORTH AFRICAN EFFORTS ARTS/CULTURE
Génétique

Sloughis Nord Africains à Poils Longs
Un fantasme de M. Clark ou un fait oublié par tout le monde?
Dr. Bernd Fritzsch
traduit de l'anglais par Dr. Anne d'Ersu
© Fritzsch 2008

Un ami m’a fait suivre le bulletin 2007 de la “Society for the Perpetuation of the Desert Bred Saluki”, dans lequel j’ai trouvé un article surprenant de M. Clark. Celui-ci présente l’image d’un lévrier à poils longs mais accompagné d’une personne dont l'habillement rend pratiquement impossible toute identification avec un peuple d'Afrique du Nord ou d'ailleurs.
Clark poursuit en présentant des traductions du texte laissant à penser que l’auteur de l'ouvrage dans lequel figure cette image, M. Siber, montrerait que le sloughi et le saluki ont coexisté. Il indique par exemple: “la race de lévrier à poils longs (sloughi)* qui est répandue dans tout le Maghreb et au Maroc, à savoir chez les arabes du sud-ouest de Beled-el-Machsin, ne se rencontre pas chez les berbères.” Il est peut-être important de rappeler ici que le sloughi est le lévrier berbère et le saluki le lévrier bédouin. Il est évident selon moi que Siber indique ici que les berbères, qui sont le peuple autochtone d’Afrique du Nord, n’ont pas la variété à poils longs, ce qui est en accord avec de nombreuses publications de l’époque.
Clark présente aussi le dessin très connu de Pierre Mégnin (on peut en trouver une meilleure reproduction dans le dernier livre de M.- D. Crapon de Caprona (The Sloughi:  “1852-1952”) qui montre un chien beaucoup plus charpenté correspondant à ce qu’était le sloughi vers 1900. Manifestement, ces lévriers étaient à l'époque aussi différents qu’ils le sont aujourd'hui et l'on n'a pas besoin des poils longs aux oreilles pour les distinguer, sauf si l'on est profane et que l'on ne connaît pas bien les lévriers.

Malgré le manque de logique du texte et ces différences de structure évidentes, Clark  a une interprétation différente et conclut : “Ainsi donc, si la variété à poils longs était répandue, comment a-t-elle pu s'éteindre en un peu plus d'un siècle?” Je suppose que, correctement formulée, la question devrait être la suivante:  Pourquoi la variété de "sloughi" à poils longs, qui était commune en Afrique du Nord jusqu’à la fin du 19ème siècle a-t-elle disparu si vite, ne laissant derrière elle que la variété à poils courts (bien reconnue aujourd'hui) vers le début des années 1960, époque à laquelle Przezdziecki a écrit son livre sur ces lévriers. Clark poursuit: “Przezdziecki avait une explication très simple de la disparition des lévriers à poils longs d’Afrique du Nord après les migrations arabes : “Sous le soleil africain, en quelques générations, tous les Salukis avaient opté pour le poil court.” Cette explication me paraît tout à fait improbable, car si le climat devait avoir eu un tel effet, il aurait dû en être de même dans d’autres régions du monde arabe ayant le même climat comme l’Arabie, où les lévriers à poils longs se sont perpétués sans aucun problème jusqu’à nos jours.

En tant que propriétaire, éleveur et exposant de sloughis depuis plus de 20 ans, j’ai été sidéré de constater que dans tous les ouvrages que j’ai pu lire sur l’Afrique du Nord et le sloughi, rien de tout cela n’était mentionné. J’ai été satisfait de voir ensuite comment Clark a subtilement démonté le raisonnement apparemment logique de Przezdziecki : à même température, même pression de sélection.
Je suis tout à fait d’accord avec Clark pour dire que l’argument de Przezdziecki n’a aucune valeur d'explication. 
Cependant Clark poursuit en donnant ce qu’il pense être une explication à ce problème. “Ainsi, si une chienne portant le gène récessif pour le poil long s'était accouplée avec un porteur du même gène et avait engendré un petit à poils longs, ou un petit mutant à poils longs, il est clair que l’éleveur l’aurait supprimé". Plus loin, Clark conclut ainsi : ”Il est possible que s’il restait des chiens de la variété à poils longs, ils ont dû être éliminés de l’élevage ou supprimés.” En tant que biologiste professionnel, j’ai été aussi surpris par cette “explication” de Clark que par celle de  Przezdziecki.

Pour comprendre mon étonnement, supposons que le nombre total de sloughis présents au Maroc donné par Clark  (210 en 1970) soit exact. Il nous faudrait ajouter à ce chiffre le nombre de sloughis présents en Algérie, en Tunisie et en Libye, soit un total approximatif de 1000 sujets. Selon l'opinion de Clark,  près de 500 de ces chiens auraient eu le poil long au début du 19ème siècle. Il est pratiquement impossible d’éliminer complètement une fréquence aussi élevée d'animaux à poils longs en si peu de temps (disons en 70 ans ou 35 générations), même si chaque chiot à poils longs avait été supprimé.
Il semble que Clark utilise les termes “gène récessif” sans peut-être vraiment comprendre les lois de l’hérédité de Mendel qui les sous-tendent.
Par exemple, si l’on croise un “sloughi” à poils longs avec un sloughi à poils courts porteur du gène récessif pour le poil long, 50% de la progéniture auront le poil long et seraient ainsi supprimés, les 50% restants ayant le poil court et étant conservés. Tous ces chiots à poils courts seraient cependant porteurs du gène récessif pour le poil long. Si l’on croise maintenant 2 de ces descendants à poils courts, près de 25% de leurs chiots auraient le poil long et 75% le poil court. Malheureusement les 2/3 de ces sloughis à poils courts seraient à nouveau porteurs du gène récessif pour le poil long et ainsi, de fait, on ne serait pas parvenu à éradiquer le gène récessif pour le poil long en éliminant les chiots à poils longs pendant 2 générations.
Continuer à sélectionner les chiots de cette manière ne permettrait tout simplement pas d' éliminer le gène récessif en si peu de temps, puisque les porteurs du gène récessif n'apparaîtraient qu'a postériori (croisement de deux porteurs donnant des chiots à poils longs).

Le gène du poil long pourrait-il avoir été “dilué” en croisant des non-porteurs de ce gène avec des porteurs? C’est tout au plus une possibilité, mais qui semble très peu probable car si un porteur avait des chiots avec un non-porteur, ces chiots auraient 50% de chances d’être porteurs sans pour autant montrer le moindre chiot à poils longs dans leur progéniture. Il est manifeste que le fait d'éliminer les chiots à  poils longs aurait peu d’effet sur la fréquence du gène codant pour le poil long dans une telle population, puisqu'il s'agirait d'un évènement assez rare. Une telle approche ne diminuerait la fréquence du poil long que dans la mesure où le croisement de deux porteurs serait relativement peu courant. Cependant, les porteurs restants ne seraient pas découverts ni éradiqués, à moins qu’on ne les croise entre eux pour obtenir une progéniture à poils longs; le fait de perdre un gène "poil long" par le seul fait du hasard dans chacune des "niches" où subsistent des sloughis, qui sont disséminées à travers les grands espaces géographiques d’Afrique du Nord, est une hypothèse presque impensable.

De plus, on se demande comment un abattage régulier de ces sloughis aurait pu être orchestré, si l’on part du principe que, d’une manière ou d’une autre, les Berbères auraient changé en très peu de temps d'attitude envers leur lévrier endémique? Après tout, d’après ce que rapporte le Général Daumas en 1852, le sloughi a été et est la fierté de ce peuple, et pratiquement toutes les images fiables du lévrier d'Afrique de Nord publiées en France pendant près d’un siècle (1852-1952) montrent un lévrier à poils courts. Donc, que se serait-il passé, et à quel moment, pour que tout un peuple change d'attitude dans une vaste région de la taille de l’Europe, l'obligeant à abattre tous ses lévriers à poils longs? Etant donné que ces régions se sont trouvées à l’époque dans des situations politiques assez différentes (occupées par la France ou l’Italie ou ayant leur propre roi), Clark devrait au moins donner une explication plausible au fait que les Berbères aient subi un changement aussi radical envers leurs lévriers dans des sociétés très différentes.
En l'absence d'une telle explication et compte tenu des très nombreuses données montrant le sloughi d'Afrique du Nord uniquement sous la forme d'un lévrier à poils courts, on pourrait peut-être se pencher sur l'autre hypothèse envisageable : les lévriers à poils longs, s'ils ont été présents en Afrique du Nord, étaient une rareté reconnue comme venant d'ailleurs par les tribus berbères autochtones tout au long de l'histoire connue du sloughi et n'ont probablement jamais beaucoup contribué au pool génétique de la race. En effet, lorsque l'on extrait les données du fascicule supplémentaire accompagnant l'article récent du Dr. Savolainen, elles montrent clairement qu'il n'y a aucune parenté génétique étroite entre les sloughis et les salukis (voir Mitochondrial DNA Sloughi versus Saluki pour plus de détail).

A la lumière de toutes ces données génétiques qui existent déjà et qui vont à l'encontre des idées de Clark, on s'interroge sur l'origine de cette obsession de Clark et Przezdziecki  à vouloir que les sloughis aient le poil long comme les salukis? Peut-être ce problème trouve-t-il sa source non pas en Afrique du Nord, mais bien en Europe? Nous savons de fait qu’un saluki importé d’Arabie saoudite a été croisé avec les sloughis de Przezdziecki et, vu le degré élevé de consanguinité de cette lignée, il se peut que des chiots à poils longs soient nés et aient été supprimés. Cependant, si cette histoire qui circule en Europe depuis longtemps est vraie, il s'agit certainement d'un problème limité à un petit groupe d’éleveurs de “sloughis” (pour de plus amples renseignements, veuillez consulter :The Sloughiman's website, Understanding Sloughi Pedigrees) et vouloir le généraliser à l’élevage traditionnel pratiqué par les Berbères d’Afrique du Nord serait manifestement prendre ses désirs pour des réalités sans pouvoir en apporter la moindre preuve tangible.

Il conviendrait peut-être que Clark soumette ses idées scientifiquement discutables à quelqu'un qui connaît bien la génétique et qui puisse lui expliquer les lois de Hardy-Weinberg et de Mendel que l’on enseigne aujourd’hui aux étudiants du premier cycle de Biologie. S'il avait lu les théories remarquables publiées par son compatriote Charles Darwin il y a 150 ans, Clark aurait compris l’invraisemblance de ses idées. De plus, un simple exercice mathématique lui aurait montré les limites de son explication aussi clairement qu'il a montré celles de l'explication de Przezdziecki.

Pour conclure, il semble bien que les nombreux livres que j’ai lus aient en effet dit vrai et que le sloughi d’Afrique du Nord ait bien toujours eu le poil court, sans qu'il ait fallu pour cela éliminer des chiots à poils longs dans tout le Maghreb. J’aime mes sloughis et n’aurai jamais été capable de supprimer un chiot et, pour autant que je le sache, les gens que nous connaissons en Afrique du Nord pensent de même. Heureusement pour moi, les lignées de sloughis du désert d'Afrique du Nord et de sloughis européens que nous avons ne portent pas le gène codant pour le poil long, puisque nous avons su dès le début de notre élevage d’où provenait ce gène et avons soigneusement évité ces lévriers issus de croisements mixtes (sloughis-salukis) que certains proposent comme étant des “sloughis.”
 

AU SUJET DE L'AUTEUR

Références
M.-D.Crapon de Caprona (2007) “The Sloughi 1852-1952”, Signature Printing, USA. 

* Note: les mots sloughi/saluki signifient lévrier en Arabe. Ils ont été attribués à  deux races différentes par les Européens, le sloughi étant le lévrier nord africain à poils courts, le saluki étant étant le lévrier persan à poils longs.

 

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